— Simms, lança-t-il à l’homme sur la vergue, veillez bien, vous m’entendez ? Notre bonhomme devrait venir du sud mais comme il est Turc, il peut sortir de n’importe où.

Cela dit, il regagna le pont, où il trouva Stephen et Graham. Il les invita au petit déjeuner ainsi que Pullings et deux des jeunes messieurs, Calamy et Williamson ; et pendant que le repas se préparait il parla au canonnier du nombre de gargousses remplies et au charpentier de la préparation de tapes pour boucher des trous de boulets de quarante livres.

— Car, dit-il, notre adversaire possible – et je dis seulement possible, Mr Watson…

— Ou hypothétique, pourrait-on dire, monsieur.

— Exactement… est le Torgud, et il porte deux canons portugais de trente-six, ce qui correspond à notre quarante livres, à un cheveu près.

— Hypothétique, murmura Killick avec mépris. (Puis très fort, pour noyer la réponse du charpentier :) C’est prêt, monsieur, s’il vous plaît.

Ce fut un repas joyeux. Jack était un hôte aimable et quand il avait le temps de s’en occuper, il aimait bien les petits garnements du poste des aspirants ; de plus, il était d’une humeur merveilleuse et il amusa beaucoup les jeunes messieurs ainsi que lui-même, en s’étendant sur le fait que le pays qu’ils venaient de quitter était à peu près la même chose que la Dalmatie – si célèbre pour ses chiens tachetés. Lui-même en avait vu une quantité, il avait même chassé derrière une ou deux paires – des chiens tachetés dans une meute, juste ciel ! – tandis que la ville de Kutali était positivement infestée de jeunes gens et de jeunes filles tout tachetés et à présent, le docteur jurait qu’il avait vu des aigles tachetés… Jack rit jusqu’à ce que les larmes lui viennent aux yeux.

— Dans une auberge de Dalmatie, dit-il, on pourrait demander pour dessert un pudding tacheté, en donner des morceaux à un chien tacheté et jeter le reste aux aigles tachetés.

Tandis que les autres développaient toutes les possibilités de la chose, Graham dit à Stephen à voix basse :

— Qu’est-ce que c’est que cet aigle tacheté ? S’agit-il d’une plaisanterie ?

— C’est aquila maculosa ou discolor de certains auteurs, l’aigle criard aquila clanga de Linnaeus. Le capitaine se plaît à faire le plaisantin. Il est souvent plaisantin le matin.

— Je vous demande pardon, monsieur, s’écria l’aspirant de quart, entré en courant. Les compliments de Mr Mowett, et deux voiles par le travers bâbord, huniers visibles de la tête de mât.

— Deux, dit Jack, s’agit-il de navires ?

— Il ne peut pas le dire encore, monsieur.

— Puis-je y aller, monsieur ? demanda Pullings à moitié levé, le visage tout animé.

— Oui, faites, dit Jack, nous mangerons votre bacon.

C’étaient bien des navires. C’étaient des navires turcs, malgré l’heure précoce, et des vaisseaux de guerre : le Torgud et le Kitabi. Mustapha avait appareillé beaucoup plus tôt qu’on ne s’y attendait ; et comme il avait peut-être perdu une partie de sa confiance dans la bonne foi d’Ali, il avait amené sa conserve.

— Oh, quelle chose scandaleuse, s’écria Graham quand le fait fut établi sans l’ombre d’un doute. Oh, quelle déception amère, amère. Et pourtant je suis sûr qu’Osman m’a donné tous les renseignements dont il disposait.

Il se tordait presque les mains et Jack lui dit :

— Ne vous faites pas tant de souci, monsieur : ce sera un peu plus difficile, c’est certain, mais nous ne devons pas désespérer de la République.

— Vous ne pouvez en aucun cas les attaquer tous les deux, dit Graham en colère, le Torgud porte trente-deux canons en tout et près de quatre cents hommes et le Kitabi vingt canons et cent quatre-vingts hommes. Ils ont au moins cent quatre-vingts hommes de plus que vous. Il n’y a pas de honte à se retirer dans de telles conditions.

En entendant ces mots, quelques-unes des personnes présentes sur le gaillard approuvèrent de la tête ; d’autres adoptèrent une expression lointaine, réservée ; seuls Pullings et Mowett froncèrent les sourcils, avec une désapprobation manifeste. Stephen crut détecter un sentiment prédominant d’accord avec la remarque de Graham ; quant à lui, il ne se jugeait pas qualifié pour exprimer une opinion navale, mais il savait avec quelle passion Jack souhaitait effacer la pénible affaire de Medina et il soupçonnait que ce désir puisse fausser son jugement.

— Eh bien, professeur, dit Jack plaisamment, il me semble que vous êtes presque en danger de venir braconner sur mes terres.

Et Graham, se reprenant, demanda pardon et se retira.

Appuyé sur les filets de hamacs tribord, Jack les observait par-dessus la mer étincelante : la frégate et le navire de vingt canons n’étaient pas à beaucoup plus de deux milles, toujours sur leur route initiale, sous toute la voilure normale, tandis que la Surprise se dirigeait vers eux bâbord amures, avec le vent de sud-est portant d’un quart.

« Grand Dieu, comme je suis heureux d’avoir levé l’ancre aussi tôt », se dit-il. Il sourit à la pensée de sa frustration totale s’ils étaient arrivés trop tard, pour avoir récupéré les câbles et aussières laissés à terre : il sourit et gloussa même tout haut.

Le gaillard d’arrière était à présent chargé de tous ses officiers et jeunes messieurs, tous les gabiers d’artimon, signaleurs, messagers et timoniers, ainsi que toute personne à bord ayant le droit de s’y tenir, et Stephen et le professeur Graham étaient coincés contre le fronteau, derrière le secrétaire du capitaine et le commis.

— Cette attente paraît bien longue avant que quelque chose ne se produise, dit Graham à voix basse. Je suppose que vous avez vu nombre de combats en mer ?

— J’ai vu le début d’un certain nombre, dit Stephen, mais dès que cela devient dangereux je me retire en bas dans un lieu sûr.

— Vous êtes tous fort plaisantins et facétieux, ce matin, dit Graham mécontent. (Puis, avec un geste du menton vers l’autre côté où Jack et Pullings discutaient un point de leur approche en riant de bon cœur, il ajouta :) Connaissez-vous le mot fey, que nous utilisons dans le nord ?

— Non point, dit Stephen.

Il connaissait parfaitement le sens de ce terme, désignant la gaieté de celui qui va mourir, mais il ne souhaitait pas discuter avec Graham la bonne humeur dangereuse de son ami.

— Je ne suis pas un homme superstitieux, mais si ces messieurs sont mariés et si leurs épouses…

— Tout le monde à l’arrière, dit Jack.

Les beuglements et le son de centaines de pieds couvrirent les paroles de Graham.

— Je ne vais pas vous faire un discours, dit le capitaine Aubrey à ses hommes. Nous nous connaissons trop bien pour parler du devoir. Parfait. Quand nous sommes allés à Medina j’ai dû vous dire de ne pas tirer les premiers sur l’ennemi et comme il n’a pas voulu commencer, nous avons été obligés de ressortir sans rien faire. Certains d’entre vous n’ont pas été satisfaits. Cette fois ce sera différent. Ces deux vaisseaux de guerre turcs là-bas se sont révoltés contre leur sultan.

Les malheurs du sultan de Turquie laissaient les Surprises insensibles : leur expression ne changea pas le moins du monde ; ils regardaient attentivement leur capitaine qui poursuivit :

— Et de plus ils ont capturé nos transports. Il est donc tout à fait normal qu’on aille leur mettre un peu de bon sens dans la tête, et récupérer nos prisonniers, nos navires et nos canons. Comme je suis sûr que vous le savez, ils sont très chargés en hommes, nous n’allons donc pas les aborder très vite mais plutôt les bombarder à distance. Vous devez tirer dans la coque, droit dans la coque. Attention : tirez bas et droit, à feu délibéré, chaque boulet en port payé. Mr Pullings, faites le branle-bas et rappelez aux postes de combat.

Il n’y avait pas grand-chose à faire. Tous les officiers mariniers et les seconds maîtres, avertis bien à l’avance, avaient pris leurs mesures : Mr Hollar, par exemple, avait tous ses bourrelets et ses boudins en place dans les hunes depuis plusieurs heures. Killick avait déjà descendu les meilleurs uniformes et les biens de Jack, et le nécessaire de toilette de Diana, horriblement taché et marqué par le cacao de Graham, reposait dans la soute à pain, au sein de sa double boîte capitonnée. Il ne restait plus que les feux de la cuisine à éteindre, les cloisons des chambres de Jack et du maître à abattre pour les charpentiers, et pour les servants de canons, à prendre possession des brutes énormes qui avaient tenu compagnie à Jack, et tout fut prêt.

Les différents officiers firent rapport à Pullings, qui s’approcha de Jack, salua, et dit :

— Tout est clair, monsieur, s’il vous plaît.

— Merci, Mr Pullings, dit Jack.

Et ils restèrent côte à côte, souriant, les yeux fixés par l’avant tribord, à l’avenir immédiat qui s’approchait d’eux.

La Surprise était silencieuse, la plupart de ses hommes graves comme ils l’étaient en général avant un combat : graves mais pas très soucieux, car bien peu n’avaient pas déjà couru souvent vers l’ennemi comme cela. D’autre part, bien peu avaient affronté de tels enjeux, et certains pensaient que cette fois le patron avait eu les yeux plus grands que le ventre. La plupart des hommes savaient fort bien que Medina lui pesait et les quelques ignorants furent bientôt au courant.

— Tout ça, c’est très bien et très beau, dit William Pôle en entendant la nouvelle. Très bien et très beau, tant que c’est pas moi qui paie avec ma peau.

— T’as pas honte, Bill Pôle, dirent le reste des servants.

La Surprise courait donc, sous sa voilure de combat, avec son maître à la gouverne, ses canons en batterie, ses mousses gargoussiers assis bien en arrière sur leurs porte-gargousses en cuir, les parcs à boulets pleins, les filets casse-tête en place, les charniers remplis d’eau, les ponts arrosés et sablés, et les écrans de combat humides couvrant les descentes conduisant à la Sainte-Barbe, tout là-bas, où le canonnier était assis parmi ses petits barils de mort. Mowett avait la division avant des canons du pont principal, Honey, le plus âgé des seconds maîtres, la division arrière ; les aspirants étaient répartis, trois de chaque côté – c’est-à-dire les plus vieux, car Jack gardait sur le gaillard d’arrière comme aides de camp les gamins qui avaient pris leur petit déjeuner avec lui. Les hommes de l’infanterie de marine qui n’étaient pas détachés aux canons garnissaient le passavant, l’air particulièrement net, avec leurs habits rouges éclatant sur le blanc des filets de hamacs et le bleu à présent intense de la mer sous le soleil puissant. Leur lieutenant se tenait au milieu avec le commis et le secrétaire du capitaine, tous silencieux mais le regard fixé sur les Turcs.

Dans ce silence, Graham se tourna vers Stephen qui n’était pas encore descendu à son poste de combat et lui dit à l’oreille :

— Que voulait dire Mr Aubrey en demandant à ses hommes d’envoyer leurs boulets en port payé ?

— Selon la loi anglaise, arrêter le courrier de Sa Majesté est un crime : par extension, arrêter tout objet marqué port payé est mortel. D’ailleurs, l’homme qui arrête un boulet de canon ne risque guère d’y survivre.

— C’était donc une plaisanterie ?

— Exactement.

— Une plaisanterie en un moment comme celui-ci, grand Dieu, pardonnez-lui !

— Un tel homme badinerait à l’enterrement de son père.

Au cours des dernières minutes, les navires s’étaient rapprochés presque à portée de canon, les Turcs, sur l’avant tribord de la Surprise, tenant leur cap sans la moindre déviation, avec le Kitabi par le travers du Torgud un quart de mille sous le vent. Bonden, capitaine de la pièce de chasse tribord, maintenait son canon braqué sur l’étrave du Torgud, en modifiant sans cesse le réglage à l’anspect. Ils se rapprochaient à une vitesse combinée de dix milles à l’heure, et juste avant d’être à portée, le silence fut déchiré par une vaste sonnerie de trompettes turques, aigres et stridentes.

— Dieu, comme cela vous chauffe le cœur, dit Jack, et il donna l’ordre : Les couleurs à la misaine et au grand mât.

Il observait à la lunette le pont encombré du Turc : il vit l’homme à la drisse, suivit les pavillons qui montaient en réponse, et voyant les couleurs turques normales se déployer il se dit : « Il pense que nous ne savons pas encore : peut-être espère-t-il nous glisser entre les doigts. Mais ses canons sont armés. » Et tout haut :

— Professeur Graham, venez, je vous prie, à mes côtés. Mr Gill, virez lof pour lof, tribord amures, et menez-moi à portée de pistolet de son flanc tribord.

Les qualités marines démontrèrent leur valeur : les régleurs de voiles quittèrent leurs canons en courant ; misaine, voiles d’étai et focs fleurirent ; la frégate bondit comme un cheval éperon né et fit son virement rapide, serré, comme Jack savait qu’elle le ferait, plaçant sous le feu de ses canons bâbord les Turcs qui l’attendaient encore de l’autre côté.

— À faseyer le petit hunier, lança Jack, les yeux sur le gaillard d’arrière du Torgud et son imposant capitaine, juste sous son vent. Mr Graham, annoncez-lui qu’il doit se rendre immédiatement. Canons bâbord parés.

Graham lança la sommation, claire et forte. Jack vit la barbe rouge de Mustapha se fendre sur un éclat blanc quand il rugit sa réponse, une longue réponse.

— En fait, il refuse, dit Graham.

— Feu !

Toute la volée de la Surprise jaillit en une explosion unique qui secoua les deux navires de la quille à la pomme du mât, tuant le vent pour un moment ; et dans l’épaisse fumée qui roulait sous le vent, par-dessus le Torgud, le grand bombardement commença, éclairs rouges dans l’obscurité, boulets frappant les coques des deux côtés ou sifflant au-dessus des têtes, vacarme énorme envahissant, cordages coupés, chutes de poulies, morceaux de bois arrachés aux lisses, aux bastingages, aux ponts et passant en sifflant. Après un départ hésitant, pris à contre-pied, les Turcs tiraient dur et vite, quoique sans chercher la régularité, et le premier boulet de leur pièce tribord de trente-six livres arracha un grand morceau aux filets de hamacs, creusa une rainure de dix-huit pouces dans le grand mât mais, chose extraordinaire, ne tua pas un homme. Toutefois si le Torgud tirait assez bien, ou du moins assez vite, la Surprise se dépassait : à présent que les volées n’étaient plus simultanées, les canons étant décalés après la troisième ou quatrième décharge, on ne pouvait être tout à fait sûr, mais à en juger d’après le numéro sept, juste sous lui, ils réalisaient quelque chose comme un coup toutes les soixante-dix secondes, tandis que les caronades du gaillard d’arrière faisaient encore mieux. Et Jack était absolument certain d’une précision très supérieure à celle des Turcs. Un coup d’œil au vent lui montra une vaste surface de mer déchiquetée par la mitraille et les boulets turcs qui devaient avoir manqué leur but de vingt ou trente yards ; en faisant le va-et-vient il regarda sous le vent, tentant de percer la fumée :

— Je m’étonne que le Turc le supporte aussi longtemps, dit-il.

Et tout en parlant il vit les huniers du Torgud s’orienter comme il laissait porter pour rejoindre le Kitabi sous son vent. Il saisit l’œil du maître : Gill acquiesça – il suivait déjà le mouvement.

Après quelques minutes de rotation graduelle, la fumée se dégagerait en avant et les tireurs d’élite auraient leur chance. Il se pencha vers les jeunes aspirants et cria très fort, dans le vacarme et la surdité générale dont souffraient tous les hommes :

— Mr Calamy, sautez dans les hunes et dites-leur de tracasser les pièces de trente-six du Turc. Mr Williamson, dites à Mr Mowett et Mr Honey de réduire les charges d’un tiers. Mr Pullings, faites-en autant.

À ce rythme infernal, les canons surchauffaient et à chaque coup le recul était plus violent : au moment même où il s’approchait du couronnement, en cherchant à voir à travers la fumée, l’une des caronades du gaillard d’arrière rompit ses palans et se renversa.

Comme il se penchait pour raidir un palan de côté, le souffle du boulet de trente-six survolant le pont à un pied de sa tête le fit chanceler ; puis, dans la grêle de fer qui s’abattait furieusement sur la Surprise, boulets, mitraille et barres, dans un bruit de tonnerre continu, avec par-dessus cela le crépitement de la mousqueterie, une note nouvelle se fit entendre. Le Torgud, suivi de la Surprise, s’était rapproché du Kitabi et à présent celui-ci ouvrait le feu de ses pièces de douze à la voix aiguë. Jusqu’à ce moment, la Surprise n’avait pas beaucoup souffert sauf peut-être dans la coque ; mais cette nouvelle averse projeta l’un des canons avant jusqu’au milieu du pont, le frappant au moment du recul et mutilant trois de ses hommes ; puis le canon de trente-six rugit à nouveau : son fracas énorme fut suivi d’un hurlement, en bas, qui pendant deux minutes perça même le vacarme de la canonnade. À présent, une trace sanglante sur le pont indiquait le chemin suivi pour transporter les blessés à l’infirmerie.

Mais le feu de la frégate avait à peine ralenti son rythme extravagant : la poudre et les boulets montaient régulièrement de la Sainte-Barbe, les servants des canons manœuvraient leurs bouches à feu massives avec un zèle superbe, écouvillonnaient, chargeaient, mettaient en batterie, tiraient, avec une coordination et une rapidité qui faisaient plaisir à voir. Malgré l’impossibilité de distinguer encore clairement, Jack était certain qu’ils avaient déjà très durement malmené le Torgud, qui ne tirait plus aussi vite ni d’autant de pièces, et il s’attendait à le voir virer dans la fumée, soit pour fuir, soit pour présenter sa volée bâbord encore intacte, quand il entendit à nouveau la sonnerie rauque des trompettes. Le Torgud s’apprêtait à aborder.

— Mitraille, dit-il à Pullings et à ses messagers. (Et, très haut :) Régleurs de voiles, paré à virer.

Le feu du Torgud cessa en dehors de ses pièces de chasse ; la fumée s’éclaircit : il était là, virant vent devant, faisant route droit sur la Surprise, son beaupré et même son bâton de foc chargés d’hommes, prêt à prendre le risque d’un feu d’enfilade pour pouvoir aborder.

— Attendez-le, cria Jack.

Virer vent devant avant que le Turc ne puisse l’aborder, virer dans un si bref espace de temps et de mer, comme un cotre, était effroyablement dangereux ; mais il connaissait à fond son navire et tout en calculant la force du vent, l’erre de la frégate et la force vive de l’eau, il lança à nouveau :

— Attendez-le. Attendez. Feu ! (Puis, à l’instant où sa voix put être entendue :) À virer de bord.

La Surprise vira, mais tout juste, et le Torgud ne réussit pas. Il resta là, pris à contre, et en passant, les Surprises acclamant comme des fous, Jack vit que le tir à mitraille avait vidé d’hommes tout son avant, une boucherie terrifiante.

— Ça chauffe, professeur, dit-il à Graham dans la pause momentanée.

— Ah oui, vraiment ? C’est mon premier combat naval de quelque importance.

— Ça chauffe vraiment, je vous assure, mais les Turcs ne peuvent tenir longtemps. C’est l’inconvénient des canons de cuivre. Si l’on tire longtemps à ce rythme, ils fondent. Ils sont très jolis, c’est vrai, mais ils ne peuvent tenir le rythme. Mr Gill, nous allons nous placer sur sa hanche bâbord, s’il vous plaît, et le prendre d’enfilade par là.

Le Torgud, laissant porter, s’enfuyait vent arrière et la Surprise fit voile à sa poursuite ; aucun canon sauf la pièce de chasse ne pouvait être orienté de manière à porter, et d’un bout à l’autre du navire, les hommes se redressèrent, prirent leurs aises. Certains s’approchèrent des charniers pour boire ou se mouiller la figure ; la plupart étaient torse nu, brillants de sueur ; tous avaient un moral d’acier. À l’une des caronades du gaillard d’arrière, un jeune homme montrait à ses compagnons qu’il avait perdu un doigt.

— Je m’en suis jamais aperçu, répétait-il, je me suis pas aperçu qu’il était parti.

Mais à présent, contre toute attente, voilà que le Kitabi remontait, très vite, dans l’évidente intention de passer entre la Surprise et le Torgud puis sans doute de remonter au vent pour prendre la Surprise entre deux feux.

— Cela ne marchera pas, mon ami, dit Jack en observant son approche, c’est très hardi mais cela ne peut pas marcher. Chargez à boulets, et tirez à la suite, de l’avant à l’arrière : tirez à mon commandement.

Quelques minutes plus tard, quand la position relative des trois navires fut telle que le Torgud se trouvait directement sous le vent de sa conserve et incapable de lui fournir le moindre soutien, Jack fit faseyer le grand hunier et le hunier d’artimon, et bifurqua vers le Kitabi sans répondre à son feu rapide, nerveux, élevé et peu efficace jusqu’à ce qu’ils ne fussent plus qu’à une encablure à peine de distance.

Il lui envoya six volées délibérées, transformant en un seul cinq de ses sabords milieu et le réduisant au silence. À la sixième volée il y eut une violente explosion à bord du Kitabi et le début d’un incendie : la Surprise passa, le laissant dériver devant le vent, son équipage courant en tous sens avec seaux et tuyaux.

La brise s’était évanouie, peut-être tuée par la canonnade, et la Surprise envoya ses perroquets pour poursuivre le Torgud : non pas que le Turc fût manifestement en fuite – il n’avait pas fait force de voiles –, mais il suivait obstinément sa route initiale, peut-être dans l’espoir d’atteindre Ali Pacha ; et droit devant on apercevait à présent la terre, avec des sommets de montagnes qui mordaient l’horizon tandis que les îles Morali, très basses, devaient être encore plus proches. Dans cette pause d’un merveilleux silence, tandis que le bosco et ses aides s’activaient dans le gréement, nouant ou épissant, Jack observa un moment le Torgud : il le vit jeter ses morts par-dessus bord – une file de cadavres dans son sillage –, puis il fit un rapide tour de son navire. Il y trouva moins de dommages qu’il ne l’avait craint : un canon démonté, la muraille percée par trois boulets de trente-six et quelques autres, mais aucun de ces trous n’était périlleusement bas, et entre les mains de Stephen il n’y avait guère que six hommes méchamment blessés et trois cousus dans leur hamac, nombre remarquablement réduit pour un si furieux combat.

Revenu sur le pont, il vit que la brise avait repris et que la Surprise rattrapait rapidement le Torgud. Ils étaient déjà à portée de boulet, mais la terre étant en vue il apparut à Jack qu’aussi longtemps qu’il pourrait éviter d’être abordé, le combat rapproché était le plus approprié ; ce n’est qu’en parvenant à sa hauteur, assez près pour voir clairement les visages des hommes, qu’il réduisit la toile et que la canonnade reprit. C’était la batterie bâbord du Torgud, inactive jusque-là et intacte, et les Turcs tiraient avec autant d’ardeur qu’auparavant : un nouveau boulet de trente-six frôla de si près la tête de Jack qu’il le fit trébucher – il vit même passer la forme sombre et vague – et il dit à Driver, l’officier d’infanterie de marine :

— Que vos hommes du milieu se concentrent sur celui qui charge ce foutu canon lourd.

Graham, qui se trouvait tout près, demanda :

— Puis-je avoir un mousquet, monsieur ? Je pourrais faire œuvre utile et je me sens mal à l’aise, inutile et exposé ici.

Il était effectivement très exposé. À présent que les deux navires marchaient vent arrière, la fumée se dégageait vers l’avant : le Torgud tirait avec plus de précision qu’auparavant et ses boulets, en frappant les bastingages ou les œuvres mortes de la Surprise, levaient des averses de fragments de bois qui traversaient le pont, parfois négligeables, parfois mortels. Graham avait déjà été renversé deux fois et la plupart des hommes présents sur le pont avaient reçu quelques coups.

Le Torgud, toujours très combatif, avait encore un nombre d’hommes étonnant. Après une salve particulièrement violente il mit la barre dessous, à nouveau dans l’intention d’aborder, et à nouveau son équipage s’accumula sur l’étrave et le beaupré. Cette fois, la Surprise n’avait pas la place de virer mais elle avait sa misaine dans les cargues pour un cas de ce genre : la bordant d’un coup, elle bondit, mais tout juste assez vite car le bâton de foc du Torgud se prit dans les galhaubans du perroquet d’artimon. Elle bondit tout de même, ses pièces de retraite bombardant à mitraille la foule des Turcs, massacre sanglant qui freina même les acclamations des servants de canons, et dès qu’elle eut assez d’erre, elle coupa le sillage du Torgud, lui infligeant un tir d’enfilade. La Surprise choqua les écoutes et le Torgud, se remettant en route, engagea à nouveau le combat de sa volée tribord, effroyablement ravagée par la première partie de la lutte, avec au moins sept pièces démontées, des sabords noircis et démolis, les dalots et même la muraille ruisselant de sang.

Ravagé, mais toujours dangereux : alors que certains adversaires auraient amené leurs couleurs, il tira de douze ou treize canons dont deux firent plus de dégâts que tous les coups précédents. L’un frappa l’aiguillot supérieur, bloquant le gouvernail, et l’autre, le dernier de ses gros boulets, prit la Surprise en haut du roulis, comme elle montrait son cuivre, et fit un énorme trou sous la flottaison. Un troisième, tiré au moment où Jack donnait un ordre à Williamson, coupa le bras du garçon au coude. Jack vit son visage stupéfait devenir blanc comme la craie – pas de douleur, mais de surprise, d’inquiétude, d’incrédulité –, enveloppa le moignon d’un mouchoir, le serra très fort pour arrêter l’hémorragie et le passa à un quartier-maître pour qu’il le transporte en bas.

Le temps que la Surprise ait résolu la question du gouvernail et de la voie d’eau, le Torgud fut beaucoup plus près de terre. En dehors de quelques coups tirés par ses pièces de retraite tandis qu’il se détachait, il n’avait pas cherché à tirer profit de son avantage et moins encore à aborder. Peut-être n’était-il pas conscient des dégâts qu’il avait infligés : sans aucun doute le dernier affrontement, le dernier tir d’enfilade avait tué bon nombre de ses hommes. Il s’éloignait, par conséquent, et dans son sillage le Kitabi courait, ayant poursuivi la même route sans en varier depuis que la Surprise l’avait abandonné : les deux Turcs faisaient manifestement route vers le même port.

— Toute la toile qu’on peut porter, Mr Pullings, dit Jack, passant sur l’avant pour étudier le Torgud avec une lunette d’emprunt – une balle de mousquet avait cassé la sienne : le tube fracassé, sa main intacte. Le Torgud avait terriblement souffert, aucun doute sur ce point ; il était lourd, bas dans l’eau, et bien que la Surprise soit en train d’accélérer rapidement comme Pullings établissait les perroquets et même des bonnettes au vent dans son ardeur passionnée, le Torgud semblait peu décidé à en faire autant, ou incapable. Les corps continuaient à tomber par-dessus bord.

— Non, dit Jack à Bonden, à la pièce de chasse tribord, quand ils parvinrent à portée de la poupe du Turc, progressant de plus en plus vite. Ne tirez pas. Nous ne devons pas le ralentir. L’abordage est la seule chose à faire et le plus tôt sera le mieux.

— De toute façon, monsieur, dit Bonden, cette espèce d’imbécile est dans nos jambes.

C’était le Kitabi. Convaincu que la Surprise le poursuivait, il avait établi la plus extravagante surface de voilure pour rejoindre le Torgud et se trouvait à présent exactement entre les deux.

Jack revint à l’arrière ; en passant, les matelots d’abordage, dans chaque équipe de canons, lui sourirent, firent un signe de tête ou dirent « Ça va venir maintenant, monsieur » ou d’autres paroles joyeuses dans le même esprit ; il sentit une fois de plus monter en lui l’excitation considérable du combat immédiat, très supérieure à tout ce qu’il pouvait avoir connu dans le monde.

Il parla aux hommes de l’infanterie de marine, qui allaient maintenant jouer leur rôle, et après quelques tours de plus il descendit les échelles jusqu’à l’amphithéâtre, éclairé par ses lanternes.

— Stephen, dit-il discrètement, comment va le garçon ?

— Il s’en tirera, je crois.

— Je l’espère vraiment. Dès que nous les aurons rattrapés, nous allons aborder.

Ils se serrèrent la main et il remonta en courant sur le pont. Pullings amenait déjà les bonnettes, pour ne pas dépasser le Torgud : et là, toujours devant, toujours ridicule, fuyait le Kitabi, entre les deux frégates. Il ne tirait pas un coup : il semblait avoir totalement perdu la tête.

— Holà, de l’avant, lança Jack aux pièces de chasse : envoyez un boulet par-dessus son pont.

— Mon Dieu, s’écria le maître à l’embardée que le Kitabi fit au coup de canon, il va aborder le Torgud s’il ne fait pas attention ; mon Dieu, il ne peut plus l’éviter ; mon Dieu, il l’a fait.

Dans un choc déchirant qu’ils entendirent clairement à quatre cents yards, le Kitabi enfonça son étrave dans le flanc tribord du Torgud, son mât de misaine s’abattant par-dessus l’embelle de la frégate.

— Amenez-moi en travers de sa poupe ! s’exclama Jack. (Puis, très fort :) Une volée à mon commandement, et abordez dans la fumée.

Tandis que la Surprise entamait son virement, il avança jusqu’à la vaste brèche creusée par les Turcs dans les filets de hamacs tribord, libérant son épée, dégageant ses pistolets. Pullings était à sa droite, les yeux brillants, et de nulle part était sorti le sinistre Davis, pressé contre Bonden à gauche, l’air tout à fait fou avec une ligne d’écume blanche entre les lèvres et un coutelas de boucher à la main.

Un dernier mouvement arrondi, le contact des flancs des navires, qui cédaient, et le rugissement des grands canons au commandement de Jack. Puis, lançant « À l’abordage ! », il sauta dans la fumée sur le pont du Kitabi. Il y avait là peut-être quarante Turcs, une ligne indécise presque aussitôt débordée et repoussée ; dans les tourbillons qui se dégageaient, un officier tendait son épée, la garde en avant, et disait en pleurant « Rendre, rendre ».

— Mr Gill, à vous, dit Jack. (Et pendant que le Torgud tirait de ses dernières pièces arrière, droit dans le Kitabi, il courut à travers les volutes de fumée jusqu’à l’étrave en criant :) Venez, venez, venez avec moi !

Ce ne fut pas un très grand bond, car le Torgud était bas, très bas dans l’eau, la mer envahissait les sabords milieu fracassés et ressortait rougie ; d’une enjambée aérienne il fut sur la lisse du gaillard.

Là tout était différent. Là, malgré les ponts sanglants et labourés par les boulets, il y avait encore beaucoup d’hommes : la plupart faisaient face à l’arrière dans la fumée mais l’un d’eux se retourna et l’attaqua directement. Jack reçut la lame sur son épée et de sa hauteur, perché sur la lisse, il repoussa le Turc d’un grand coup de pied qui l’envoya voler dans l’embelle du navire, dans l’eau envahissant l’embelle du navire qui s’enfonçait, sur le point de couler.

Il sauta sur le pont : jamais il ne s’était senti plus fort, plus agile, plus en forme, et quand une pique surgit de toute cette confusion, poussée droit vers son ventre, il la frappa avec tant de force et de précision qu’il détacha la pointe de sa tige. Presque aussitôt le combat s’ordonna. Jack, Pullings et la plupart des abordeurs envahissaient l’angle tribord avant du gaillard d’arrière du Torgud, s’efforçant de se frayer un chemin vers l’arrière à partir de là et du passavant. Quelques autres et toute l’infanterie de marine faisaient de leur mieux pour s’emparer des fenêtres de poupe et du couronnement.

C’était l’habituelle mêlée furieuse, avec énormément de cris et d’efforts, fort peu de place pour bouger entre amis et ennemis, guère d’habileté à l’épée – bousculade énorme, poussées, estocades au hasard, coups de lame rapides dans le tumulte, coups de poing, coups de pied : le poids physique des deux côtés, le poids moral des deux côtés.

La masse oscillait d’avant en arrière : turbans, chéchias, yeux jaunes injectés de sang, visages basanés et barbus d’un côté, pâles de l’autre, mais tous habités de la même violence extrême, nue, meurtrière ; masse prodigieusement vigoureuse, véhémente, dégageant parfois un espace entre les deux fronts pour une brève bouffée de combats individuels, directs et souvent mortels ; puis elle se refermait, les hommes face à face, poitrine contre poitrine, en contact immédiat. Et jusqu’ici nul n’avait clairement l’avantage : la centaine d’hommes de Jack avait gagné quelques yards pour combattre mais ils étaient bloqués ; et les gens de l’arrière semblaient avoir perdu leur emprise. Jack avait ressenti deux ou trois blessures – la brûlure sanglante d’une balle de pistolet en travers du torse, la pointe d’une épée à demi parée de l’autre côté, et une fois c’était Davis qui avait bien failli l’abattre du revers de son coutelas, lui ouvrant une entaille dans le front – et il savait avoir donné quelques coups très habiles. Et tout ce temps il cherchait Mustapha, sans jamais le voir, quoiqu’il pût entendre son énorme voix.

Il y eut tout à coup de la place devant lui, un bref répit comme quelques Turcs reculaient en combattant toujours. À la droite de Jack, Pullings plongea dans cet espace, poussant une estocade vers son adversaire, se prit le pied dans un piton à œil et tomba. Une fraction de seconde son visage ingénu fut tourné vers Jack, puis l’épée du Turc s’abattit et le combat se referma. « Non, non, non », rugit Jack, poussant en avant avec une force énorme. Il tenait son lourd sabre à deux mains et sans plus se garder il taillait de droite et de gauche, le corps de Pullings entre les jambes. Les hommes se dispersaient devant sa fureur extrême ; ils reculaient ; l’avantage moral était pour lui. Criant à Davis de tenir bon, de monter la garde, de porter le corps sous l’échelle, il chargea vers l’arrière, suivi de tous les autres. En même temps, l’infanterie de marine, repoussée sur la poupe et reformée en avant, se précipitait par les deux passavants, baïonnette au canon.

La foule des Turcs se dispersa ; certains couraient, la plupart faisaient retraite vers le couronnement ; et là, en arrière de l’artimon vacillant, Mustapha était assis à une table couverte de pistolets, la plupart déchargés. Sa jambe, cassée dans les débuts du combat, reposait sur un tambour taché de sang. Deux de ses officiers lui tenaient les mains sur la table et un troisième lança à Jack : « Nous nous rendons. » C’était Ulusan, venu à bord de la Surprise avec Mustapha : il s’avança, amena les couleurs et détacha le pavillon. Les autres obligèrent enfin Mustapha à rendre son épée : Ulusan, l’enveloppant du pavillon, offrit les deux à Jack dans le silence irréel. Mustapha se leva, cramponné à la table, et se jeta sur le pont dans un paroxysme de rage ou de chagrin, sa tête cognant contre le bois comme un maillet. Jack le regardait avec une indifférence glaciale.

— Je vous félicite, monsieur, dit Mowett à ses côtés. Vous voilà enfin l’égal de Nelson.

Jack tourna vers lui un visage dur et pâle :

— Avez-vous vu Pullings ? demanda-t-il.

— Comment, mais oui, monsieur, dit Mowett l’air surpris, ils ont à peu près gâché son gilet et lui ont un peu cogné sur la tête, mais il n’a pas perdu le moral pour autant.

— Vous feriez mieux de regagner la barque, monsieur, dit Bonden à voix basse, calant sous son bras le pavillon et les épées des autres officiers. Celui-ci ne fera pas de vieux os.

 

FIN

Mission en mer Ioniene
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